La filière ciment-béton est fortement émettrice de gaz à effet de serre.
Elle émet environ 0,6 tonne de CO2eq par tonne de ciment produite, pour un total 7 à 8% des émissions mondiales, soit plus du triple des émissions directes du secteur aérien. La production de ciment, tirée par les demandes chinoise et indienne notamment, progresse et devrait augmenter de 12% à 23% d’ici à 2050. Le béton qu’il permet de produire est la 2e substance la plus consommée après l’eau.
Dans le cas du Reference Technology Scenario de l’Agence Internationale de l’Energie – scénario modérément ambitieux visant un réchauffement mondial de 2.7° en 2100, mais impliquant déjà des changements importants par rapport au « business as usual » – l’augmentation des émissions ne serait pas égale à celle de la production, elle ne serait pas nulle (4% d’émissions supplémentaires si la production augmente de 12%)
Il est donc impératif d’agir pour décarboner cette filière, ce qui est reconnu par ses acteurs en France, engagés à décarboner leurs sites de production, mais faisant face à une transformation systémique de leur activité qui complexifie l’atteinte de l’objectif très ambitieux de 90% de réduction des émissions à 2050 (cf. fig.3).
Les efforts en France semblent aujourd’hui concentrés sur la décarbonation de la production du ciment.
Environ 85% des émissions de la filière sont liées à la réaction chimique et à la chaleur nécessaire à la clinkérisation, cette dernière étant encore largement générée par des combustibles fossiles.

Le type de ciment produit et notamment son taux de clinker – résultant de la cuisson de calcaire et d’aluminosilicates selon différents procédés (voie humide, sèche, semi-humide ou semi-sèche) influe grandement sur l’émission finale associée à l’utilisation d’une tonne de béton. Les ciments les plus carbonés (CEM I et II) restent pourtant de loin les plus vendus en France du fait de leurs propriétés mécaniques, notamment les ouvrages structurels, et leur bas coût.

La décarbonation de la production de ciment est aujourd’hui envisagée par la filière et l’Etat sur 4 niveaux à horizon 2050 : moins de clinker, plus d’efficacité énergétique des combustibles alternatifs et surtout de la capture de carbone. Ces quatre leviers sont pertinents, mais comportent chacun des limites importantes.

Les substituts au clinker permettent d’obtenir des ciments viables pour des bétons structurels.
Ces substituts sont des coproduits industriels (laitiers de haut-fourneaux ou cendres volantes…) ou des produits naturels traités (argiles calcinées, pouzzolanes, roches calcaires broyées…). Ils sont limités en quantité, si l’on se cantonne aux distances économiquement viables pour chaque cimenterie, le ciment étant produit majoritairement à destination d’un marché local. A titre d’exemple, ~80% des laitiers de haut-fourneaux en France sont déjà utilisés pour la fabrication du ciment et la pérennité des sites sidérurgique n’est par ailleurs pas assurée. En outre, les bétons les utilisant ont des caractéristiques qui impliquent des changements dans les normes et modes de construction : par exemple des bétons dont la résistance à 28 jours une fois coulés est inférieure à des bétons à fort taux de clinker, ce qui demande de changer les modes de construction.
L’efficacité énergétique des cimenteries peut encore être améliorée.
50% du clinker produit en France l’est dans des usines n’utilisant pas les techniques les plus optimales en matière de consommation énergétique[1]. La filière peut moderniser les fours et améliorer l’efficience des autres composants clés de la chaîne, notamment le broyage. En revanche, l’électrification des fours, levier important dans d’autre industries, semble compliquée à court ou moyen terme[2]. Les investissements à réaliser sont importants : 200M€ pour améliorer le four de la cimenterie Eqiom de Lumbres tout en augmentant de 70% sa production de clinker, 285M€ pour remplacer 2 lignes semi-sèches par une ligne sèche à précalcinateur sur le site Heidelberg à Airvault. En revanche, une fois modernisées, ces lignes ne pourront limiter leurs émissions davantage que très marginalement par ce levier.
L’utilisation de combustibles alternatifs progresse mais les projections reposent sur des hypothèses fragiles.
Elle reste relativement faible en France par rapport, par exemple, à l’Allemagne. 44% de l’énergie produite pour la production cimentière provient de déchets, dont 52% de biomasse. La feuille de route prévoit un passage à 85% et 60% respectivement, mais plusieurs facteurs en limitent la probabilité. Le volume de déchets non recyclables ou non-recyclés est appelé à diminuer et la biomasse est en tension ; 40% de la consommation finale d’énergie en France ne saura être électrifiée à 2050, et la biomasse sera sollicitée par exemple par les producteurs de gaz, de carburants synthétiques ou par l’élevage. Les forêts sont elles un puits de carbone à conserver et la neutralité de la combustion du bois est remise en cause, surtout dans un contexte où le stress hydrique rend le renouvellement des forêts plus lent. Son usage comme matériau d’œuvre ou de construction semble préférable[3]. Enfin, les autres déchets brûlés ne sont pas neutres en carbone, les pneus par exemple n’économisent « que » 45% d’émissions de GES par rapport au pétrole[4].
La capture de CO2 est à la fois un objectif lointain, très complexe à atteindre mais central pour ~55% des efforts envisagés.
En premier lieu, en plus du process, la consommation électrique du CCUS (carbon catpure, usage & storage) serait de 0,7 TWh/an à partir de 2030, et 1,95 TWh/an supplémentaire en 2050 (soit 1/2 réacteur nucléaire de 900MW). Deuxièmement, peu de sites industriels semblent viables à la fois techniquement, socialement et économiquement pour capter du CO2: Dunkerque, le Havre pour stocker en mer du Nord et Lacq dans les Pyrénées-Atlantique pour stocker dans des anciens gisements de gaz[5], ce qui correspond à la Stratégie National Bas Carbone mais ne concernerait que 5 cimenteries en France. Le coût de l’équipement de captation et surtout celui de l’infractructure de transport et de stockage sont importants. Sur le site Eqiom de Lumbres, 150M€ sont nécessaires pour capter le CO2, et la question de son transport (projet d’Artagnan) n’est pas encore tranchée. Le coût des canalisations représenterait ~200M€ supplémentaires. Toutes choses égales par ailleurs, la captation du CO2 pourrait renchérir le cout de la tonne de ciment de 100€.
D’autres innovations dans la capture du carbone, comme Fastcarb (carbonatation de granulats de béton recyclés) complémentent le CCUS; elles sont encore à un stade d’expérimentation.
Les investissements nécessaires pour modifier les procédés et moderniser les cimenteries vont engendrer des hausses de prix. Si les grands groupes de BTP sont capables de les absorber, et si elles sont relativement peu importantes dans le coût d’une maison individuelle type, la transmission de ces hausses au consommateurs s’avère difficile pour les PME/TPE déjà affectée par l’inflation des prix des autres matériaux de construction.
Au-delà du ciment, changer l’usage du béton et donc la construction en France
Pour respecter les objectifs de réduction des GES et se mettre en conformité avec la Réglementation Environnementale 2020, les leviers ci-dessus ne suffiront sans doute pas dans la fenêtre de temps envisagée. La filière va donc devoir, avec ses clients, aller au delà de la décarbonation de la fabrication du ciment.
Si l’on considère non plus seulement le ciment, mais la filère béton-ciment dans son ensemble, les leviers additionnels de la décarbonation seront, avec de multiples configurations possibles, la diminution du taux de ciment dans le béton (articulée avec les propriétés des ciments à faible teneur en clinker), la modernisation des appels d’offres, volontaire ou demandée par la réglementation, incluant des objectifs CO2 basés sur des analyses de cycle de vie, à l’échelle de l’unité fonctionnelle, plutôt d’ailleurs que des obligations d’utiliser des bétons bas-carbone. En parallèle, les quantités de béton utilisées seront appelées à diminuer: par des nouveaux modes de conception et de construction, en gérant mieux les pertes sur les chantiers, et surtout en utilisation d’autres matériaux biosourcés, au premier rang desquels le bois.
L’action sur les émissions de la filière ciment-béton, essentielle, porte aussi en filigrane la diminution de la construction et de la rénovation, centrale dans un contexte de pénurie de logement neufs ou remis aux normes.
[1]ADEME, « Plan de Transition Sectoriel de l’industrie cimentière en France : Premiers résultats technico-économiques – Rapport de synthèse», 2021
[2] Entretiens avec des professionnels du secteur. Voir aussi Electrifier la chaleur industrielle pour décarboner, Colombus Consulting, 2022
[3] France Stratégie, Vers une planification de la filière bois, juillet 2023
[4] Aliapur[5] ADEME, Le captage et le stockage géologique de CO2 (CSC) en France, juillet 2020